Interview : Sara Mandiano dans « Pollen » sur France Inter / 31 mai 1991

Jean-Louis Foulquier est en direct de la Rochelle tandis que Didier Varrod est en studio à Paris avec Sara Mandiano.

Didier Varrod : Tu sais que moi j’ai toujours préféré aux gens qui ont des convictions les gens qui ont des doutes, et Sara Mandiano porte ça comme un drapeau, comme un fleuron et c’est tant mieux, belle cuvée 91 pour Sara Mandiano, J’ai des doutes.

(diffusion de J’ai des doutes)

Jean-Louis Foulquier : Sara qui a bien raison d’avoir des doutes parce que c’est le privilèges des grands et de ceux qui ont du talent, les cons ils doutent jamais hein…

Sara Mandiano : (rires) Merci. Comment elle est la mer ce soir ?

JLF : Ben écoute je la vois pas, je suis dans le studio, mais les yeux du technicien sont parfaits.

Didier Varrod et Jean-Louis Foulquier évoquent la 7e éditions des Francofolies de la Rochelle dont la billetterie vient d’ouvrir, ainsi que certains des artistes invités, notamment Liane Foly qui sera à la « fête ».

SM : C’est normal, c’est très très bien. Rêve orange c’est une merveilleuse chanson et elle elle est super en fait donc tant mieux. 

JLF : J’espère, chère Sara, qu’avec le succès qui pointe on pourra te retrouver avec des musiciens l’année prochaine.

SM : Ah c’est sûr (rires), je vais venir t’embêter.

JLF : Je vais te faire une petite place.

DV : Surtout qu’on peut le dire Jean-Louis, Sara Mandiano est aussi un des bébés de Pollen, un bébé assez ancien d’ailleurs. Sara avait poussé la chansonnette sur quelques 45 tours que nous avions beaucoup appréciés et elle était déjà venue nous transmettre son univers et cette voix tout à fait particulière. Et il y avait eu un très très long moment d’absence, Véronique Sanson appelle ça le syndrome d’Icare, c’est-à-dire quand les artistes n’arrivent plus à produire, pour des raisons quelquefois contractuelles, quelquefois pour des raisons d’inspiration, et c’est vrai qu’on l’a attendu cet album, on l’a énormément attendu, peut-être un peu trop. Ce qui fait que le jour où il est sorti j’ai eu une réaction complètement contrastée, souviens-toi Jean-Louis, je me suis dit : « Je suis un peu déçu par l’album de Sara Mandiano », j’attendais je ne sais pas… Hein, tu te souviens, il faut être franc.

JLF : C’est vrai, mais ça n’a pas duré longtemps.

DV : Et puis peu à peu cet album, parce qu’on fait notre métier, c’est-à-dire qu’on écoute l’ensemble d’un album, on écoute les chansons en entier, on ne met pas que le début, l’intro, cet album est venu de manière un petit peu retors dans nos âmes et dans nos cœurs et, il y a une chose sur laquelle on ne mettait aucun doute c’était la production, super belle production, léchée, intelligente, jamais redondante…

JLF : L’écriture.

DV : L’écriture, superbe. Et en même temps on avait envie de se faire un petit peu violer, et ce viol est venu progressivement, c’est d’autant plus bon que maintenant on trouve que cet album est l’un des grands albums de l’année 91. Il y a des destins comme ça particuliers, y a des moments il faut se laisser séduire, ça ne se fait pas immédiatement, ça a été le cas avec Sara Mandiano et de cela nous pourrons peut-être reparler parce que ça correspond peut-être à cette longue maturation…

SM : Oui tout à fait, c’est complètement ça…

DV : … qui a été celle de cet album puisqu’il y a eu une gestation exceptionnelle, c’est pas neuf mois c’est trois, quatre ans là, on peut le dire…

SM : C’est trois ans disons. C’est un an et demi pour composer, écrire, etc. Et c’est un an pour la production, c’est-à-dire le studio et tout ce que ça comporte, et c’est pas mal de temps pour trouver les gens qu’il faut, c’est-à-dire les gens qui produisent et qui croient en toi et qui aiment tes chansons autant que tu les aimes.

JLF : Tu auras compris quand même Sara que Didier et moi ne sommes pas des hommes faciles quoi…

SM : Je sais (rires).

JLF : Faut des fiançailles, on couche pas tout de suite quoi (rires).

SM : Moi non plus (rires).

DV : C’est fini ce temps-là.

JLF : On écoute Jimmy Oihid.

(diffusion de Zaouch de Jimmy Oihid)

DV : On revient à Sara Mandiano et à cet album, on disait qu’il a eu une longue gestation, particulièrement pénible par moments, parce que je t’ai aperçue quelquefois, il y avait une espèce d’impatience, une rage aussi, mais une rage de ne pouvoir plus rien communiquer au public parce que c’est aussi frustrant de temps en temps.

SM : Oui tout à fait, mais si tu veux la chose qui est importante c’est d’avoir fait ces chansons, de s’être sentie bien dedans, d’avoir repris ce plaisir que tu as quand tu es plus jeune, quand tu commences à 16/17 ans, et ça je pouvais attendre longtemps parce que je savais que ce que j’avais dit ou ce que j’avais essayé de communiquer aux gens c’était essentiel pour moi et que j’avais enlevé tout le superflu et, comme on dit, la matière grasse. Et je pouvais attendre longtemps, disons qu’il y a des moments, évidemment il y a des jours en haut et des jours en bas, et j’ai pas attendu trop trop longtemps parce que j’ai rencontré Thierry Haupais et Kondo Music qui ont fait que ça a éclaté, toute une tribu qui est avec moi et qui est super importante. Si j’ai attendu en tout cas un an ça vaut le coup c’est certain, j’en suis sûre maintenant. 

JLF : Sara, en tous les cas il n’y a pas que dans les chansons que t’as enlevé le gras et la matière grasse, j’ai vu le clip (rires), tout est parfait.

SM : (rires) Non c’est parce que je t’explique, j’ai acheté une maison à la campagne et je fais du jardin (rires).

DV : Elle bêche.

SM : Oui, je bêche, donc j’ai les mains absolument pleines de cors, et puis je m’adonne au jardin et ça me prend beaucoup d’énergie et beaucoup de plaisir, mais bon ça va hein, tu sais je suis en pleine santé (rires).

JLF : C’est bien, ça te va très bien.

SM : Merci.

DV : Sara Mandiano, auteur-compositeur-interprète, compositrice pourrait-on dire…

JLF : Auteuse.

DV : Auteuse. Y en a pas beaucoup en France, je le déplore quotidiennement…

SM : Oui je sais.

JLF : Il va nous parler de Sanson (rires).

DV : J’ose espérer que la relève s’identifie à des créatures aussi fines que toi, en tout cas c’est difficile aussi de s’imposer dans une tribu où il y a de sacrés mecs quand même, parce que Thierry Haupais c’est un mec, tout le monde le connaît, c’est un dur…

SM : C’est un dur tendre.

DV : Jean-Claude Chachaty, qui est ton complice aussi…

SM : Absolument, essentiel.

DV : … et toi là-dedans tu règnes quand même. C’est toi qui est la tête chercheuse de cet univers ?

SM : On est toutes et tous des têtes chercheuses et je crois que c’est indispensable, je crois qu’on est tous des personnalités très fortes, dans l’équipe il y a des femmes, il y a des hommes, et je crois qu’on s’écoute, je crois qu’on s’écoute beaucoup, ça c’est important, et on s’aime donc on est tous d’accord, donc s’il y a des luttes on se met tous d’accord sur un point essentiel, on est toujours tous d’accord quoi, ça c’est sûr. Bon, disons que moi je suis un peu la base puisque je fais les chansons guitare-voix, j’amène avec ma guitare mes chansons, je les amène à Jean-Claude qui lui donne toute la couleur, toute l’ambiance qui est essentielle. Ensuite il y a Dan Lacksman et encore Jean-Claude qui font la réalisation et après il y a papa Thierry qui nous dit « oui ça c’est bien, ça c’est pas bien »…

DV : Et ce regard de femme n’est jamais perverti ou écrasé par tous ces hommes ?

SM : Non, non, je m’entends bien avec eux, je me sens très bien. 

DV : C’est peut-être même nécessaire pour toi d’avoir ce regard différent ?

SM : Oui, absolument, et puis en plus il n’y a pas que des hommes, il y a des femmes aussi, qui sont toujours d’ailleurs dans l’ombre (rires), mais elles existent complètement donc même si elles sont pas toutes sur la pochette elles existent quand même.

DV : Et ça donne Je ne suis pas comme il faut, Sara Mandiano, extrait de son album.

(diffusion de Je ne suis pas comme il faut)

JLF : Sara Mandiano, Je ne suis pas comme il faut, et c’est tant mieux parce que c’est souvent ennuyeux les gens qui sont comme il faut.

DV : C’est vrai que c’est un album avec de la rage et des sentiments qui vont à l’encontre des lieux communs, c’est vrai que c’est bien de dire « j’ai des doutes », c’est bien de dire « je ne suis pas comme il faut », ça fait partie de ton personnage, de ta personnalité, de ton caractère d’être toujours un peu rebelle, un peu en colère pourrait-on dire peut-être ?

SM : Intérieurement certainement. J’ai des doutes mais c’est toujours une remise en question totale et qui m’est indispensable, je crois qu’elle est indispensable en général dans la vie.

JLF : En même temps tu sais ce que tu veux…

SM : Oui évidemment, j’avance heureusement (rires). Mais j’ai toujours des doutes, mais c’est normal, il faut je crois.

JLF : J’ai le souvenir de Sara Mandiano presque petite fille, je faisais partie du jury qui t’avait retenu pour le Studio des variétés, ça remonte à quelques années…

SM : Oui tout à fait je me souviens. Là j’étais très rebelle à ce moment-là (rires). J’avais pas de doutes !

JLF : Ça t’a apporté le Studio des variétés ?

SM : Ah tout à fait oui.

DV : Quoi ?

SM : Ça m’a apporté de rencontrer des gens qui faisaient la même chose que moi, enfin qui essayaient de faire la même chose que moi. En plus la première année, c’était une année formidable parce qu’on ouvrait une école pour les auteurs-compositeurs-interprètes et ça s’était jamais vu, enfin je crois, et donc les gens se donnaient à fond, il y avait un échange total, moi j’ai beaucoup appris des élèves surtout. Je ne dis pas ça pour les profs qui étaient excellents aussi. Faut dire que je manquais pas mal de cours (rires), je préférais passer une heure au café à boire un crème avec un autre camarade que d’écouter un cours mais parce que j’avais besoin de ça à ce moment-là aussi.

JLF : Et bonne promotion, il faut dire qu’il y avait des gens comme Jacques Haurogné en même temps que toi…

SM : Absolument, grand monsieur. Il y avait Pijon…

JLF : Tous ces gens qui sont en train de faire tranquillement mais sûrement leur trou.

SM : Ils ont raison. Ils ont du talent.

JLF : Ils vont pas être tout seuls, tu comptes bien faire partie du lot.

SM : Absolument (rires).

DV : Tous ceux qui nous écoutent et qui rêvent d’entrer au Studio des variétés, j’ai reçu une lettre il n’y a pas si longtemps disant qu’il y a une espèce de ségrégation, de sélection à l’entrée qui est drastique, ton discours va peut-être un peu les faire déchanter, à savoir que c’est mieux de passer deux heures dans un café avec un collègue demandeur d’emploi également qu’avec des professeurs, c’est quand même terrible ça (rires). Je vous propose de partager maintenant une nouveauté, c’est un grand moment de grâce qui va arriver sur les platines, attention splendeur, le monsieur n’est pas un inconnu, c’est un ami de Foulquier de longue date je crois, il s’appelle David McNeil, il est accompagné d’Alain Souchon.

(diffusion de Seul dans ton coin)

SM : Sara Mandiano, de sa retraite campagnarde, à quoi rêve-t-elle maintenant que son album est sorti ?

JLF : À moi des fois (rires) !

SM : Évidemment (rires) !

DV : À conquérir les scènes de France et d’ailleurs ou de rester bien peinarde chez elle et puis de faire des disques de temps en temps ?

SM : Elle rêve de plusieurs choses, c’est-à-dire elle rêve, et ça commence un petit peu à se réaliser, elle rêve de repartir au Japon…

DV : Et oui parce qu’il y a eu une belle aventure Sara Mandiano au Japon.

SM : L’album sort au mois de septembre, j’ai plein de nouvelles là donc je suis très contente. Elle rêve d’écrire pour d’autres gens, ce qu’elle commence à faire, ça c’est très bien.

JLF : Pour qui ?

SM : J’ai commencé pour une jeune Canadienne qui s’appelle Virginie. Et elle rêve de rester aussi à cultiver ses fleurs mais ça ça fait partie de mon univers maintenant donc ça va je le fais tous les jours. Et puis de partir au Canada, et ça ça va se faire aussi.

DV : Chanter pour toi c’est aussi voyager, rencontrer d’autres gens, d’autres univers, d’autres contrastes mais est-ce que c’est aussi, dans la tête de la petite fille Sara Mandiano, de devenir un jour une superstar, adulée, à la une des magazines ?

SM : Ah ça je sais pas (rires). C’est une question qu’on m’a jamais posée. Alors je vais réfléchir (rires). Non je crois que c’est surtout de pouvoir continuer à avoir le plaisir que j’ai d’écrire, de composer, de pouvoir en vivre et en faire vivre les gens que j’aime bien et je crois que c’est surtout ça. Pouvoir voyager à travers ce métier ça c’est important, de pouvoir faire de la scène ça c’est extrêmement important, ça fait longtemps qu’on en parle d’ailleurs tous les trois.

JLF : Et Sara Mandiano sur le fronton de l’Olympia, ça te fait pas rêver ?

SM : Attends mais évidemment que ça me fait rêver (rires). Quelle question ! J’en rêve depuis que j’ai cinq ans.

JLF : D’ailleurs tu l’as déjà vu.

SM : Non mais ça c’est le grand rêve, c’est sûr.

DV : Tu sais j’ai une théorie Sara, il y a deux métiers, il y a celles qui rêvent de faire chanteuse et celles qui rêvent d’être vedettes, mais c’est deux métiers différents. Malheureusement la chanson francophone est embouteillée de vedettes et très peu de chanteuses.

SM : Je ne connaissais pas cette théorie, je viens de l’apprendre.

DV : Je te la délivre en exclusivité alors (rires).

JLF : Le mieux c’est d’être les deux.

SM : Ah oui c’est vrai, le sage a parlé (rires).

(diffusion de Daddy)

DV : C’est jouissif ce genre de production, ciselée, intelligente, toujours surprenante, et puis en plus le texte est magnifique.

SM : C’était pour mon papa, un être très cher.

DV : Ça sert à ça aussi la chanson, à dire des choses un peu fortes.

SM : Des choses qu’on n’ose pas dire d’ailleurs. Qu’on puise dans le silence, et puis au bout d’un moment tu te dis tiens j’ai envie de lui dire des choses…

JLF : Un papa du monde artistique ?

SM : Ah… dans la tête sûrement, certainement. Enfin il y a maman aussi qui est importante mais ça sera pour le prochain (rires).

JLF : Ils t’ont toujours encouragée dans cette voie-là ?

SM : Oui tout à fait. C’est eux qui m’ont fait entrer dans l’école de Radio France, toute petite j’ai passé le concours, à douze ans et c’est eux qui m’ont poussée vers ça.

JLF : Tu as fait la maîtrise ?

SM : Oui absolument, pendant cinq ans.

JLF : Bonne école.

SM : Très bonne école.

JLF : On sait chanter en sortant…

SM : (elle prend une voix lyrique) Ouiii on sait (rires). Après il faut un petit peu désapprendre quand même. On a des petits tics donc c’est un petit peu gênant, il faut se rattraper, se retrouver un petit peu.

DV : Rien de tel que l’école de la vie.

SM : Oui, c’est ça. Il dit plein de choses bien (rires).

JLF : Varrod, c’est un poète.

DV : Jean-Louis, puis-je t’offrir un autre moment de pureté ? Là où tu es, du côté de la Rochelle, presque face à la mer, d’entendre la voix de William Sheller, seul avec son piano, pour dire qu’il est un homme heureux, c’est un moment encore de grâce, c’est miraculeux, on n’entend pas ça sur la FM, et finalement cultivons notre différence parce qu’on en sort que plus fort.

JLF : J’ai été réveillé par William ce matin et c’était très beau.

(diffusion d’Un homme heureux)

SM : C’est émouvant, c’est très émouvant.

DV : Toi tu composes tes chansons à la guitare, seule, au départ, ou au piano, c’est quoi ta première formation, ton instrument matrice ?

SM : Guitare !

DV : Ça t’arrive souvent d’être comme ça, en solitude, et de composer des choses ou de chanter les chansons des autres ?

SM : Oui, souvent, très souvent. Quand c’est des chansons des autres je les fredonne, dans mon jardin, j’adore, y a des chansons que j’adore. Et puis quand c’est pour moi je me mets toute seule dans ma grande chambre, je mets mon petit magnétophone cassette qui marche pas très bien mais ça va, et je mets ma guitare et j’écris en même temps que je chante. Ça se passe un peu comme ça. Y a des moments intenses que tu as envie de transcrire tout de suite.

DV : J’ai l’impression que tu es quelqu’un de particulièrement sensible, à fleur de peau, ouverte vraiment à toutes les sensibilités, toutes les émotions. C’est nécessaire pour être artiste ou c’est un handicap ?

SM : Je sais pas, je suis comme ça donc maintenant je ne le vis pas encore dans le nécessaire ou handicap, je crois que j’en parlerai un peu plus tard, pour l’instant c’est un peu le début, mais pour l’instant pour la création ça m’est nécessaire de comprendre ce qui se passe autour de moi à travers mes amis ou à travers la presse, tout ce qui nous habite.

JLF : En tout cas Sara, même quand tu ne chantes pas, quand tu te contentes de nous susurrer dans les oreilles, bah ça donne des frissons.

DV : Jean-Louis, on va peut-être se quitter avec une dernière chanson extraite de l’album de Sara Mandiano et on va se quitter avec Défense d’y voir.

(diffusion de Défense d’y voir)